Une cité qui n'attendait que ça - Comment, en seulement deux ans, Pablo Picasso a retrouvé goût au rêve
Entretien avec l’instigateur Assane Thiam.
C’est un jour froid de novembre, où le ciel capricieux déverse des torrents, où la grêle se mêle à la pluie. Mais il n’y a pas de quoi altérer la prestance des Tours nuages. “Avec les reflets, c’est super beau”, commente Assane Thiam. Emmitouflé dans sa doudoune Lacoste, le jeune homme fait le tour du propriétaire. Avec un air de propriétaire. À la cité Pablo Picasso de Nanterre, il est une figure. Une star presque. Il semble serrer les mains de tous les passants, jeunes et moins jeunes. Les premiers mêlent aux sourires un regard admiratif. Il y a de quoi. Assane, du haut de ses 24 ans, a ramené du rêve à la cité. Il a chapeauté des événements avec Nike au cœur même du quartier, un tournoi Phantom à l’été 2018 et un Mercurial en 2019, où aux côtés de la star de Dortmund Jadon Sancho et des internationales féminines, fut dévoilée en exclusivité mondiale la toute nouvelle paire du même nom. C’est lui aussi qui nous avait ouvert les portes de la cité pour faire profiter aux kids le nouvel album de PNL. Et maintenant, voilà qu’il ramène l’Amérique : sur la base de ces events réussis, reflets de l’emprunte football du quartier, les Tours nuages et Assane apparaissent depuis ce 4 décembre dans un documentaire diffusé par Amazon Prime, ‘Soccer in the City’, explorant le rapport des Américains au football.
“Pablo” y est décrite comme un exemple de la réussite d’un football parti de la rue. “C’est dingue que ce soit mon quartier qui soit mis en scène, s’enthousiasme Assane. Il y a deux ans, c’était inimaginable. Moi j’y croyais, mais quelqu’un de lambda à la cité, il aurait dit ‘à part du stup, ici il va rien se passer frère’. Là les mecs se mettent à rêver. Tu vois on vient de croiser un petit, il me demandait ce que j’allais faire cet hiver. Ils sont demandeurs, ils se mettent à rêver, à se dire que tout est possible. Et ça c’est très lourd”. C’est d’un rêve d’Assane qu’est parti celui d’une cité qui n’attendait que ça. Un rêve qu’il désigne du doigt, vers ce qu’il appelle “la plate”.
“Pour les petits, Sancho c’est un mec du quartier”
“La plate”, c’est la genèse. Le cœur de la cité, une place de béton au beau milieu des tours. Là où Assane a tracé les lignes blanches qui formeront le terrain de son premier tournoi. “Depuis que je suis petit j’ai une vision, je savais que si je le faisais, il fallait que ce soit là, au milieu du quartier. C’est là où est l’énergie”, nous décrit-il. Son énergie, le garçon l’a cependant dépensée ailleurs que dans l’organisation d’événements dans un premier temps. Son rêve d’ado était celui de devenir agent de footballeur, un rêve qu’il a touché du doigt avant même sa majorité. Comme le symbole d’un parcours atypique, qui explique aussi, au moins autant que ses talents d’organisateurs, les regards admiratifs qu’on lui lance çà et là. “J’ai longtemps gravité dans le monde des agents, et travaillé avec la plus grosse agence dans le monde, qui s’appelle Stellar, pour le transfert d’un jeune de Lens à Arsenal. C’est une période qui a duré deux ans, où j’étais dans un entre-deux, où la journée j’étais à l’hôtel du Collectionneur et le soir au quartier. J’avais 18 ans, j’avais confiance. Le petit signe à Arsenal, et désillusion, je ne suis pas payé”, raconte-t-il. Assane fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais le calvaire se poursuit quelques mois plus tard, quand il “se fait planter” dans son quartier par un jogger “qui s’avérera plus tard être un policier”. Le dossier, classé sans suite alors que les preuves paraissaient accablantes, est toujours dans l’esprit du jeune homme qui tient à le citer, pour illustrer le fait qu’il soit parti “de rien. Même quand j’ai réussi à monter, je suis redescendu“. Inspirant pour les jeunes, donc, “des petits qui doutent, parce qu’on est pas dans le bon quartier, qu’on a pas les parents qui ont de bons métiers”.
Amoindri et sans ressources, Assane, tout juste sorti du foot business, retourne à l’essence de son sport. C’est au travers des centres de loisir qu’il organise ses premiers tournois, et qu’il prend goût à lâcher du bonheur “aux petits”. Alors il veut faire plus, se structurer, et finit, dans le cadre d’une contrepartie à la Mairie qui lui octroie une formation, par organiser un tournoi à plus grande échelle. Il met à profit ses contacts pour glaner des maillots signés de joueurs de Premier League, des dédicaces vidéos, “de petits trucs pour moi, alors que pour le quartier c’était fou”. Une réussite. On lui demande d’organiser un autre event à l’Arena, au Stade de France, et vient Nike, qu’il contacte innocemment pour un partenariat, et avec qui il organise finalement le double événement au cœur de son quartier. “On fait Nike Phantom, réussite totale, première fois que Nike vient faire un tournoi dans un terrain créé spécialement pour l’occasion dans un quartier. Et puis Mercurial, où on ramène Sancho et des joueuses internationales pour révéler la paire”. L’événement qui a véritablement fait chavirer le quartier : “Quand un petit de la cité voit la Mercu à la télé, au pied de CR7, t’imagine le sentiment qu’il a ? C’est la folie. Quand ils voient la Mercu, ils savent où elle a été lancée. Ils voient Sancho sur FIFA qui ouvre le jeu, il était chez eux il y a quatre mois, pour eux c’est un mec du quartier, vraiment. Dès qu’il marque, je vois tous les petits sur Snap s’extasier, c’est le joueur préféré du quartier. C’est dingue. En deux ans, Nike monde, Sancho, des événements… c’est fou”, énumère-t-il, regardant toujours ces mêmes lignes d’où tout est parti, comme s’il n’en revenait pas encore. Alors même qu’Amazon Prime et une chaîne nationale s’apprêtent pourtant à le diffuser à grande échelle outre-Atlantique.
“15 ans d’avance sur les plans d’urbanisme de la Mairie”
Une question nous taraude, tout de même. Assane, et les habitants du quartier, n’ont-ils pas l’impression d’être une simple image pour les marques, en ces temps de tendance street culture ? “C’est sûr, le marketing des marques aujourd’hui est dans la street. Mais on n’a pas peur d’un effet de mode. Ça sublime la street, je trouve. Et puis, on a tellement rien… Juste avant l’événement Mercurial, je disais qu’il ne fallait pas oublier de respecter les gens, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on fait des événements, mais que les gens ont des cafards chez eux. C’est bien, mais on n’a pas changé le monde. On n’a pas révolutionné la vie du quartier”, relativise-t-il. En rappelant, cela dit, que les moments qu’il a pu créer sont nécessaires, et restent positivement dans les esprits. “On a besoin de ce genre de moments, que ça se fasse par le biais des marques ou pas. Avec les marques c’est mieux, parce que ça amène du rêve, du genre Sancho. Moi j’appelle ça des bulles, tu as l’impression de ne plus être dans le quartier. Il faut prendre la vague quand elle est là. Et Nike a vraiment respecté mon quartier, ils ont payé des licences pour les petits par exemple, fait du don de textile… c’est du marketing, certes, ok, pas de problème, mais peu de personnes dans le quartier peuvent dire qu’elles n’ont pas eu un truc, tout le monde s’est senti investi dans l’événement et respecté. Ils ont pensé au quartier et c’est vraiment bien. Et aujourd’hui ça nous permet une projection mondiale”.
De fait, le documentaire d’Amazon, où “Pablo” et Assane apparaîtront une dizaine de minutes à titre d’exemples, serait-il vu comme un aboutissement ? Assane répond par la négative. Il voit plus grand. “Mon organisation s’appelle ‘Le monde est à nous‘. C’est plus qu’un association. Ça veut tout dire. Ça veut dire, ‘fais un truc en bas de chez toi, et t’inquiète’. Pour dire que pour nos rêves, la terre est trop petite”. De fait, le garçon a lancé l’été dernier, toujours au pied des tours, les Jeux de la Cité, qu’il entend bien décliner pour surfer sur les JO à venir. La Mairie, qui lui assure “avoir 15 ans d’avance sur le projet d’urbanisme du quartier, pour eux c’était un contexte compliqué et ils ne prévoyaient d’animer le quartier que sous 15 ans”, le suit toujours. Et inutile de dire que le quartier est derrière lui aussi. En quittant “la plate”, un autre kid lui demande ce qu’il prévoit prochainement, le regard toujours brillant d’admiration et d’impatience. Assane lâche un “tu verras”, et esquisse à son tour un sourire satisfait. “Je fais les choses pour le quartier et pour les petits. Je me mets toujours à la place des petits en fait. Je me dis, ‘si j’avais vu ça quand j’étais gamin’, sachant que j’étais très rêveur, ça m’aurait donné un truc. Je le vois dans leurs yeux, dans leurs actes, ça les pousse à faire autre chose. Je sens qu’ils se disent : ‘si Assane l’a fait, je peux le faire’”. Là est son but, et la consécration. Il peut bien pleuvoir, les Tours nuages n’ont jamais autant rayonné.
Le documentaire “Soccer in the City” est à retrouver ici. Et suivez les projets d’Assane sur son compte Instagram.